Accueil Société Moez Chérif, Président de l’Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant, à La Presse : «Chaque enfant perdu par le système éducatif est un projet perdu pour

Moez Chérif, Président de l’Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant, à La Presse : «Chaque enfant perdu par le système éducatif est un projet perdu pour

L’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant, créée en novembre 2011, a pour objectif la protection et la défense des droits de l’enfant et l’apport de secours directs ou indirects à l’enfant malheureux ou en danger. Dans un contexte de vulnérabilité accrue de l’enfance en Tunisie avec de nombreux abus portés à leur encontre, Dr Moez Chérif fait une radioscopie de la situation globale, avant d’exposer les mesures qui doivent être prises pour remédier à la situation en Tunisie. 

Quel est le bilan rétrospectif que vous faites sur l’évolution de la situation de l’enfant en Tunisie ces dernières années en matière de santé, d’insertion scolaire et d’éducation dans le cercle familial et en société ?

Depuis la révolution, la succession des crises politiques, économiques et sociales n’a fait qu’aggraver la situation des enfants. En Tunisie, la pandémie de Covid-19 a précipité encore plus la situation des enfants en aggravant tous les indicateurs. Cette transition démocratique qui se prolonge, si elle a été bénéfique sur le plan du cadre légal en institutionnalisant les droits des enfants parce que la Constitution de 1956 n’évoquait pas la situation des enfants, est confirmée par la Constitution de 2022 où désormais un article est consacré aux enfants et engage la responsabilité de la famille et de l’État dans l’accès des enfants à leurs droits. C’est un bénéfice majeur qui vient consolider un cadre légal qui était favorable déjà aux enfants en Tunisie. Malheureusement, le fossé qui existe entre le cadre légal et la réalité du vécu des enfants ne fait que se creuser. La multiplication des idéologies a fait qu’il y avait des tiraillements sans qu’il y ait un consensus et les enfants ont été victimes de tous ces tiraillements politiques. Ils ont été instrumentalisés. On a essayé de les orienter. On a essayé de les utiliser. Mais on n’a pas essayé de développer l’enfance telle qu’elle devrait être, pour préparer réellement l’avenir du pays, préparer les générations futures. 

Comment percevez-vous la menace grandissante de l’exploitation économique des enfants face à l’abandon scolaire ? 

L’insatisfaction des enfants et leurs difficultés d’adaptation, que ce soit dans le milieu familial ou dans le milieu éducatif, fait qu’il y a le constat d’un abandon du système éducatif. Les enfants quittent l’école de plus en plus tôt. On a plus de 100.000 enfants annuellement depuis plus d’une dizaine d’années qui quittent volontairement l’école.Devant l’explosion de cette économie parallèle qui échappe au contrôle de l’État, les enfants constituent une proie facile. Ils sont exploités du point de vue économique parce que c’est une main-d’œuvre facile, peu coûteuse, c’est une main-d’œuvre peu regardante que l’on peut utiliser et manipuler comme on veut. Et d’ailleurs, elle l’est à la fois par les toutes petites entreprises familiales que par les autres entreprises. C’est une perte pour l’enfance elle-même et c’est une perte pour la Tunisie.

Y a-t-il tout de même des motifs d’espoir face au marasme qui touche l’enfance et des nuances à apporter quant à la force de leur énergie à relever certains défis ? 

Le domaine de l’enfance sans avoir une charge d’optimisme, parce que ce sont les enfants eux-mêmes qui sont porteurs d’espoir et sont porteurs de changement, porte encore certains espoirs. Quand on voit la capacité d’adaptation de toute cette jeunesse à cette révolution numérique qui se passe dans notre pays et qui place la Tunisie comme étant un pays pourvoyeur de compétences numériques, quand on voit la capacité d’adaptation des enfants, même ceux qui ont quitté l’école, à utiliser l’outil numérique et à en profiter, on comprend que le potentiel est là, que l’énergie est là mais qu’elle ne demande qu’à être canalisée de façon positive. Le tout, c’est d’avoir une vision. Le tout, c’est de poser un cadre, de revenir vers l’essentiel et d’offrir un cadre à toute cette énergie et à toute cette jeunesse pour qu’elle puisse se faire du bien à elle-même et construire elle-même l’avenir de la Tunisie. 

Comment interprétez-vous le principe de «l’intérêt supérieur de l’enfant» dans le contexte tunisien ou comme évoqué dans l’article 52 de la Constitution ? 

Nous sommes plutôt dans une logique de l’intérêt porté aux enfants plutôt que de l’intérêt supérieur des enfants. Respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est placer l’enfant comme étant un citoyen à part entière, en construction, que toutes les composantes de l’État participent à son épanouissement. Quand on parle de la responsabilité de l’État, on ne parle pas uniquement de la responsabilité du gouvernement, mais on parle de toutes les composantes de l’État. Cela veut dire à la fois les institutions publiques, les institutions privées et la société civile. La responsabilité de l’État vis-à-vis des enfants est une responsabilité sociétale, c’est une responsabilité citoyenne qui implique chaque intervenant. Dans l’absence d’une vision consensuelle de la Tunisie de l’avenir, les composantes de l’État ne sont pas en train d’agir avec une synergie. 

L’émission «Focus Enfant» sur la Rtci dont vous êtes le principal intervenant est entrée dans sa deuxième ou troisième année, quels sont les enseignements retenus jusque-là par les auditeurs ?

Les réactions sont positives et on se rend compte qu’on répond à un besoin. Un besoin d’être un trait d’union entre les auditrices et les auditeurs et les préoccupations des enfants. Malheureusement, étant donné qu’on est sur une chaîne francophone, on touche une partie limitée des Tunisiens et des Tunisiennes. Mais c’est une opportunité qui est extrêmement importante et je remercie la direction de la chaîne d’avoir une préoccupation permanente pour la question de l’enfance. Les réactions sont toujours très positives, dans la mesure où on contribue à faire une sensibilisation à la problématique de l’enfance, à amener un changement de comportement et des mentalités envers les enfants et à contribuer un tant soit peu à faire de l’éducation parentale. 

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